Vers une stratégie urbaine durable euro-méditerranéenne
Face à une urbanisation croissante, aux risques climatiques croissants et aux inégalités, la région méditerranéenne doit repenser ses modèles urbains pour garantir leur résilience et la durabilité de leur développement. Alors que la population devrait doubler, dans les pays des rives Est et Sud de la Méditerranée, d’ici 2050, la pression sur les zones côtières s’accentue, entraînant une consommation foncière excessive, une dégradation accélérée du patrimoine bâti, des pollutions diverses et une gestion des déchets souvent insuffisante.
Urbanisation et littoralisation : des enjeux croissants
L’urbanisation rapide s’accompagne d’une consommation foncière excessive, d’une dégradation accélérée du patrimoine culturel bâti, de pollutions multiples (nappes phréatiques, air, sols), d’une gestion des déchets encore insuffisante et de risques sanitaires croissants. Les villes méditerranéennes sont également de plus en plus exposées aux impacts du changement climatique (canicules et îlots de chaleur, inondations, montée du niveau de la mer), aux inégalités sociales et à la vulnérabilité de certains groupes (femmes, populations précaires).
À noter qu’historiquement, les villes méditerranéennes se sont développées autour d’une articulation forte entre tissu urbain, agriculture et environnement. Aujourd’hui, la croissance urbaine déséquilibre cette relation, au profit des zones urbaines et au détriment des espaces ruraux, qui se voient marginalisés ou absorbés. Ce déséquilibre accentue la dépendance des villes vis-à-vis de ressources extérieures et fragilise la sécurité alimentaire locale. La métropolisation généralisée, couplée à la suburbanisation, modifie donc profondément la structure des villes et de leurs périphéries. Les périphéries urbaines connaissent une croissance rapide, tandis que certains centres-villes se dépeuplent ou voient leur tissu social se transformer.
La littoralisation désigne la concentration croissante des activités humaines, économiques et urbaines sur les zones côtières, phénomène particulièrement marqué en Méditerranée depuis le milieu du XXe siècle. Cette attractivité du littoral s’explique par le développement d’infrastructures majeures (tourisme, transports, énergie, industrie), la recherche de ressources naturelles et la proximité des marchés internationaux. La surface construite dans la frange littorale d’un kilomètre à partir du rivage a doublé, voire plus, entre 1965 et 2015, entraînant un étalement urbain et une fragmentation accrue des paysages côtiers. De plus, près d’une personne sur trois vit aujourd’hui en zone côtière méditerranéenne, avec des taux pouvant atteindre 100 % dans certains États insulaires. Cette concentration génère une artificialisation sans précédent des côtes, une pression accrue sur la biodiversité marine et terrestre, ainsi qu’une multiplication des infrastructures lourdes telles que les ports en eau profonde.
Malgré la mise en place de cadres réglementaires comme le Protocole GIZC, la construction sur les premiers 150 mètres du littoral dépasse 20 % dans près de la moitié des pays méditerranéens. Les risques liés à l’érosion, à la montée du niveau de la mer et aux événements climatiques extrêmes s’intensifient, menaçant les populations et les infrastructures. La littoralisation s’accompagne également d’une diversification et d’une intensification des pollutions, le milieu marin devenant le réceptacle des déchets et contaminants issus des bassins versants. Face à ces enjeux, la gestion intégrée des zones côtières, la planification spatiale et l’adaptation des politiques d’aménagement apparaissent indispensables pour préserver le capital naturel et social de la Méditerranée et garantir un développement durable du littoral.
Deux axes prioritaires historiques : transports et gestion des déchets
- Transports et mobilité : le modèle urbain (ville dense ou ville étalée) conditionne fortement la consommation énergétique et les émissions de gaz à effet de serre. Les villes compactes et bien desservies par les transports en commun sont moins émettrices que les villes étalées dépendantes de la voiture.
- Déchets : l’essor urbain s’accompagne d’une augmentation significative de la production de déchets, dont la gestion reste souvent insuffisante, en particulier dans les villes du Sud et de l’Est méditerranéen. La croissance économique et la transformation des modes de consommation entraînent une évolution rapide des volumes et de la composition des déchets, posant des défis majeurs pour la collecte, le traitement et la valorisation.
En matière de déchets urbains, un programme de travail 2009 – 2012 a été conduit pour objectiver leur évolution, sur les plans tant quantitatifs que qualitatifs.
En tant que membre du groupe de travail urbain du secrétariat de l’UpM, le Plan Bleu a participé aux réflexions engagées dans le cadre de l’élaboration d’une stratégie urbaine durable euro-méditerranéenne.
Nouvelles priorités : résilience urbaine et solutions fondées sur la nature (SfN)
Le changement climatique, les risques naturels et les inégalités appellent à renforcer la capacité d’adaptation des villes méditerranéennes. La résilience urbaine vise à réduire la vulnérabilité, tout en améliorant la qualité de vie et la durabilité. Ainsi, la résilience urbaine devient une priorité stratégique : il s’agit d’accroître la capacité des villes à anticiper, absorber et s’adapter aux impacts climatiques, environnementaux et sociaux.
Le Plan Bleu, dans le cadre de la mise en œuvre de la Stratégie Méditerranéenne pour le Développement Durable (SMDD) et la Convention de Barcelone, soutient l’adaptation des communautés et des infrastructures aux changements climatiques et environnementaux, en mettant l’accent sur la résilience urbaine. Les activités récentes ont permis de produire des rapports thématiques et des analyses systémiques sur l’adaptation climatique, la planification urbaine durable et l’intégration des SfN, avec des exemples concrets comme l’agriculture urbaine à Carthage ou la réutilisation des eaux usées à Tanger, démontrant des bénéfices sociaux, économiques et environnementaux pour les villes méditerranéennes.
Les SfN (corridors verts, agriculture urbaine, gestion des eaux pluviales, restauration écologique, etc.) sont promues comme étant des leviers majeurs pour réduire les risques, améliorer la qualité de vie, renforcer la biodiversité urbaine et générer des co-bénéfices (réduction des îlots de chaleur, gestion des inondations, amélioration de la biodiversité, de la santé, générant des emplois, et favorisant une économie circulaire).
Des projets pilotes de solutions fondées sur la nature ont été déployés dans plusieurs villes, telles que Barcelone (axes verts), Izmir (lutte contre les vagues de chaleur) et Alexandrie (gestion des inondations). Ces initiatives sont accompagnées de formations pour les agents municipaux et urbanistes, de la diffusion de guides adaptés aux contextes méditerranéens, ainsi que de consultations multipartites impliquant autorités locales, société civile et secteur privé. Cette démarche participative favorise l’appropriation locale des stratégies de résilience et l’acceptation des changements nécessaires.
- Formations régionales SfN et EbA : En 2024, des sessions de formation ont eu lieu au Maroc et au Monténégro pour renforcer les compétences des acteurs locaux sur les SfN et l’adaptation écosystémique.
- Déploiement de projets pilotes : Des initiatives concrètes ont été menées à Barcelone (axes verts), Izmir (atténuation des canicules), Alexandrie (gestion des inondations), Carthage (agriculture urbaine), Tanger (réutilisation des eaux usées).
- Production de guides et rapports : Publication du rapport « Nature-based Solutions for Mediterranean Cities » et élaboration d’un guide pratique « Climagine » pour l’élaboration participative de plans d’adaptation et de gestion intégrée des zones côtières (GIZC).
Prix Istanbul pour les villes respectueuses de l’environnement
En 2016, les Parties Contractantes à la Convention de Barcelone ont décidé de créer le « Prix Istanbul pour les villes respectueuses de l’Environnement », visant à reconnaître et récompenser les efforts des autorités locales pour améliorer l’environnement et la qualité de vie et promouvoir le développement durable dans les villes et agglomérations côtières méditerranéennes.
Financé par le Gouvernement de la Türkiye, le Prix Istanbul est piloté par l’Unité de Coordination du Plan d’Action pour la Méditerranée, avec l’assistance du Plan Bleu et le soutien des autres composantes du PAM. Pour la 1ère édition, le prix a été décerné lors de la Conférence des Parties (COP 20) à Tirana (Albanie) du 17 au 20 décembre 2017.
La deuxième édition du Prix a été lancée le 6 mai 2019. Après examen des dossiers de candidature, le Jury a attribué le Prix Istanbul de la ville respectueuse de l’environnement à la ville d’Ashdod (Israël). Le Prix a été remis lors d’une cérémonie qui s’est tenue le 2 décembre 2019 à Naples (Italie) dans le cadre de la 21e Réunion des Parties contractantes à la Convention de Barcelone (COP21). La troisième édition, organisée en 2021, a vu la ville de Malaga (Espagne) recevoir le Prix Istanbul. En 2023, la quatrième édition du Prix a été attribuée à la ville italienne de Gênes, saluant ses efforts en faveur de la durabilité urbaine. La cinquième édition est en cours.
Toutes les villes côtières méditerranéennes, quelle que soit leur taille, peuvent postuler en mettant en avant leurs actions concrètes pour la protection de l’environnement, l’amélioration de la qualité de vie et la promotion du développement durable, ainsi que leurs partenariats avec la société civile, le secteur privé et la communauté scientifique.
Perspectives et priorités 2025-2027
La vision du Plan Bleu vise à approfondir le travail sur les villes et communautés résilientes, en valorisant le patrimoine culturel et bâti méditerranéen, les savoirs traditionnels et les pratiques vernaculaires comme leviers d’innovation et d’adaptation. Les priorités thématiques pour 2026-2027 incluent la résilience urbaine intégrée face aux risques climatiques, la généralisation des SfN pour l’adaptation au changement climatique et garantir une bonne santé aux citadins, la restauration des paysages à l’interface urbain-rural, la gouvernance inclusive et participative, ainsi que l’amélioration des données sur la résilience urbaine via l’Observatoire régional du Plan Bleu. L’accent sera également mis sur la connectivité écologique des zones urbaines côtières et sur la promotion de l’économie circulaire et bleue.
Ces actions s’appuient sur un large réseau de partenaires régionaux et internationaux, et visent à renforcer la capacité des villes méditerranéennes à s’adapter au changement climatique, à réduire les risques de catastrophe, à intégrer les solutions fondées sur la nature et la culture dans l’urbanisme, à partager les connaissances et à promouvoir une gouvernance inclusive. Le Plan Bleu s’affirme ainsi comme un centre régional de données, d’innovation et de dialogue pour des villes méditerranéennes plus résilientes et durables.